Cancer du col de l’utérus : avancer, plutôt que reculer !

Lettre ouverte

© Pexels
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Bruxelles, le 13 octobre 2023

 

En matière de dépistage du cancer du col de l’utérus, la Belgique fait figure de chef de file. Cette position, nous la devons à des années d’investissement et de développement consacrées, par nos pathologistes, à la méthode dite de « cytologie en milieu liquide » ou « cytologie en couche mince ». Pourtant, le gouvernement fédéral a décidé il y a quelques années de changer de cap : à partir de 2024, nous passerons de l’examen cytologique au test HPV (papillomavirus humain) en dépistage primaire pour les femmes de 30 à 65 ans. Ce n’est pas une avancée mais une marche arrière, alors même que le co-testing – combinaison d’une cytologie avec un test HPV – se présente comme une alternative évidente et facile à mettre en œuvre, qui permettrait de détecter plus de cas à un coût comparable, voire inférieur, pour les caisses de l’État.

 

Le gouvernement belge, qui fonde sa décision sur un rapport obsolète du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) sorti en 2015, va ainsi à l’encontre de l’évidence croissante sur le co-testing comme méthode de dépistage la plus efficace. Une efficacité encore démontrée par une nouvelle étude, qui identifie les coûts et bénéfices des différentes méthodes pour notre pays. La Belgian Society of Pathology appelle donc une nouvelle fois les décideurs politiques à reconsidérer leur décision, dans l’intérêt de nos femmes et de nos finances.

 

Le cancer du col de l’utérus peut survenir à tout âge, mais touche surtout les femmes de plus de 30 ans. Ce cancer à évolution lente – il se développe sur une période de 15 à 20 ans en moyenne – est presque toujours imputable à une infection à HPV. Alors qu’il s’agissait du cancer féminin le plus mortel dans les années 40 du siècle dernier, il figure aujourd’hui parmi les cancers gynécologiques les plus faciles à prévenir, à détecter et à traiter. La mortalité mondiale a diminué de 70 %, en particulier grâce au déploiement massif de programmes de dépistage (cytologique).

La présence du
HPV n’est pas alarmante en soi : près de 80 % de la population sexuellement active y est un jour confrontée et dans 90 % des cas, l’infection disparaît spontanément en deux ans. Ce ne sont que les infections persistantes à HPV à haut risque qui augmentent le risque d’évolution vers un cancer du col de l’utérus.

Il existe aujourd’hui
deux méthodes éprouvées de dépistage du cancer du col de l’utérus, toutes deux basées sur un prélèvement de tissus du col utérin. La cytologie – méthode standard actuelle en Belgique – consiste à rechercher des cellules anormales, (pré-)cancéreuses ; les tests HPV reposent au contraire sur la recherche du papillomavirus humain, c’est-à-dire d’une infection à HPV. Mais une telle infection évolue rarement en cancer. De plus, à un stade donné, certains cas – notamment les infections persistantes, juste avant leur évolution en cancer – ne peuvent plus être détectés par le test HPV.

Le
co-testing revient à combiner les deux méthodes de dépistage, sur le même fragment de tissu. Or, un nombre croissant de données scientifiques prouve que, appliquée au même échantillon tissulaire, cette méthode combinée offre la meilleure protection possible contre le cancer du col de l’utérus. La raison principale est que le co-testing permet de détecter les quasi-cancers à test HPV négatif. Et c’est sans parler du fait qu’il décèle aussi d’autres cancers, comme celui de l’endomètre.

Dans des pays comme les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse et le Luxembourg, le co-testing est désormais la méthode de dépistage standard.

 

Rappelons quelques faits. Depuis 2013, dans le cadre du programme régional de dépistage du cancer, les femmes de 25 à 64 ans en Flandre bénéficient tous les trois ans d’un test de dépistage du cancer du col de l’utérus, gratuit pour la patiente. De son côté, la Wallonie a lancé un vaste programme-pilote de dépistage de la population sur trois ans, aux mêmes conditions. Ce dépistage repose sur la cytologie : le prélèvement d’un fragment de tissu du col utérin pour détecter d’éventuelles cellules anormales, souvent dues à une infection à HPV. Mais comme l’examen cytologique ne vérifie pas la présence ou l’absence du HPV en soi, cet examen est relativement peu sensible (en comparaison avec un test HPV) aux infections à papillomavirus. C’est cette limite de la cytologie conventionnelle qui a progressivement poussé certains pays à préférer les tests HPV en dépistage primaire du cancer du col de l’utérus. Un exemple que la Belgique s’apprête manifestement à suivre.

 

Or, le prétendu avantage de cette méthode est pour le moins douteux. Ainsi, en Belgique, l’examen cytologique moderne n’a quasiment plus aucun rapport avec les frottis classiques. En effet, grâce à des décennies d’investissements et de développement, nous ne travaillons plus qu’avec la cytologie en milieu liquide ou Liquid Based Cytology (LBC) : une méthode avancée et beaucoup plus fine qui, en outre, est souvent associée à l’intelligence artificielle (IA) pour encore plus de précision. Cette automatisation améliorée de l’imagerie remédie aux principaux inconvénients de la cytologie conventionnelle et offre des résultats d’une sensibilité et d’une spécificité d’au moins 90 %. Aussi le cancer du col de l’utérus est-il presque devenu une maladie rare en Belgique, avec une incidence en baisse depuis une vingtaine d’années et une mortalité touchant quasi exclusivement des femmes non dépistées.

 

Notre pays souhaite pourtant passer au test HPV en dépistage primaire, en s’inspirant d’un rapport – limité et dépassé – du KCE, sorti en 2015. Ce rapport s’appuie notamment sur de vastes (méta-) études du début du siècle, aux méthodologies trop variées et aux conclusions basées sur le frottis conventionnel de qualité inférieure, que la Belgique a depuis longtemps abandonné. Pour toutes ces raisons, le rapport du KCE est largement obsolète et, n’étant plus représentatif du dépistage actuel en Belgique, il ne constitue pas un document d’orientation utile.

 

À cela s’ajoute que les tests HPV – comme la cytologie classique – présentent des lacunes avérées. Selon les résultats de la plus grande étude rétrospective sur le dépistage du cancer du col de l’utérus, menée par Quest Diagnostics, pas moins d’un cas de cancer du col de l’utérus sur cinq n’était pas détecté par le test HPV seul. L’ajout de l’examen cytologique permettait de détecter a posteriori 70 % de ces cas « manqués ». De plus, étant donné que le HPV a tendance à disparaître spontanément, on risque de passer à côté de cancers à des stades plus avancés, stades où le virus a disparu et n’est donc plus décelable. À l’inverse, des tests HPV positifs en raison d’une banale infection à papillomavirus, sans cellules anormales, peuvent être source de stress inutile et de traitements de suivi superflus, qui pèsent sur le budget de nos soins de santé.

 

Passer au test HPV en dépistage primaire s’avère donc risqué et contreproductif, non seulement pour la santé de nos femmes mais aussi sur le plan opérationnel et budgétaire : si la part du budget fédéral requise par les laboratoires et pathologistes belges se limite aujourd’hui à 27 millions d’euros par an, le recours au test HPV en dépistage primaire porterait ce chiffre à plus de 40 millions.

 

Avec le co-testing, qui consiste à associer l’actuel examen cytologique à haute performance à un test HPV, nous disposons pourtant d’une solution efficace et neutre sur le plan budgétaire, combinant le meilleur des deux méthodes. Les deux tests peuvent être réalisés simultanément, sans incidence logistique ou opérationnelle significative, mais avec la garantie d’une probabilité de détection maximale à un prix total comparable, voire inférieur dans certains cas. C’est ce que confirme la nouvelle étude « Health Economic Modeling » (étude HE) d’Aquarius Health, laquelle a étudié les coûts et bénéfices des deux méthodes de dépistage – test HPV en dépistage primaire et co-testing – et qui démontre que, en Belgique :

 

1. Le co-testing permettrait de détecter plus de (pré-) cancers que le seul test HPV en dépistage primaire :

  • 10 924 lésions précancéreuses CIN2+ et 8 199 lésions cancéreuses CIN3+ avec le co-testing, contre
  • 8 573 lésions précancéreuses CIN2+ et 6 597 lésions cancéreuses CIN3+ avec le test HPV en dépistage primaire ;

 

2. Le co-testing aurait, pour le gouvernement, eu égard au remboursement et au coût des tests actuels, un coût par (pré-) cancer détecté inférieur à celui du test HPV en dépistage primaire :

  • en moyenne 5 381 € avec le co-testing, contre 7 650 € avec le test HPV en dépistage primaire par lésion précancéreuse CIN2+ détectée ;
  • en moyenne 7 169 € avec le co-testing, contre 9 942 € avec le test HPV en dépistage primaire par lésion cancéreuse CIN3+ détectée.

 

Nous, membres de la communauté des pathologistes belges, appelons instamment nos décideurs politiques à ne pas négliger ces arguments, mais à les prendre à cœur et à revenir sur leur décision. Ce, dans l’intérêt de la santé de nos femmes et par extension de tous les Belges, qui méritent une utilisation efficace de nos ressources publiques, surtout dans le contexte budgétaire actuel.

 

Signataires :

Dr Romaric Croes, pathologiste à l’AZ Sint-Blasius et vice-président de la Belgian Society of Pathology

Prof. Dr Birgit Weynand, pathologiste à l’UZ Leuven et vice-présidente de la Belgian Society of Pathology

Prof. Dr Claire Bourgain, pathologiste à l’AZ Imelda et secrétaire de la Belgian Society of Pathology

Prof. Dr Shaira Sahebali, pathologiste à l’UZ Brussel et présidente du groupe de travail Cytologie de la Belgian Society of Pathology

Prof. Dr Jean-Christophe Noël, pathologiste à l’Hôpital Érasme

Prof. Philippe Delvenne, pathologiste au CHU de Liège

Prof. Dr Koen Van de Vijver, pathologiste à l’UGent

Prof. Dr Ramses Forsyth, chef pathologie UZ Brussel

Prof. Dr Senada Koljenovic, chef pathologie UZ Antwerpen

Prof. Dr Peter van Dam - coordinateur médical Multidisciplinary Oncology Center Antwerp, coordinateur médical Gynecological Oncology and Senology UZ Antwerpen

Prof. Dr Marc Van Ranst, virologue à l’UZ Leuven

 

Paul Geens

Paul Geens

Senior pr consultant, Evoke

 

 

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